Taillée dans le permafrost dans une montagne reculée en Arctique, « la chambre forte du jugement dernier » abritera des échantillons de graines parmi les plus importants au monde. Telle une arche de Noé, elle pourrait fournir à l’humanité la nourriture dont elle aurait besoin si une catastrophe survenait.

29/10/2007 ::
Au bout d’un étroit chemin de gravier, dans l’archipel de Svalbard (Norvège) en Arctique, où, ironiquement, aucune culture ne pousse, des ouvriers travaillent dur à la construction de la chambre forte de haute sécurité qui doit entrer en service dans six mois.

Gigantesque réfrigérateur de 5200 mètres cube (6800 yards cube), la chambre forte préservera  quelque 4,5 millions de lots de graines de toutes les variétés de cultures de la planète.

Grâce à cette chambre forte, on espère ainsi qu’il serait possible de réimplanter les cultures détruites en cas de désastres majeurs.

Illustration de la "chambre forte" à Svalbard. Dessin : Statsbygg

« C’est une police d’assurance peu coûteuse », explique Cary Fowler, directeur exécutif du Fonds Fiduciaire Mondial pour la Diversité des Cultures (« Global Crop Diversity Trust ») et le concepteur, pour ainsi dire, du projet.

Actuellement, la chambre forte ressemble à une galerie profonde, en forme de trident, percée dans le grès et le calcaire. Des ouvriers travaillent 24 heures sur 24 pour terminer la galerie, prenant avantage du soleil de minuit qui brille en Arctique.

Le passage de 1200 mètres de profondeur (400 pieds) conduit à trois chambres froides spacieuses éclairées par des projecteurs.

La construction achevée, l’entrée, qui sera en avant par rapport à la montagne, sera un portail étroit et triangulaire en ciment et en acier, et dont l’illumination changera avec le soleil de l’Arctique.     

Derrière le sas, les trois chambres hermétiques seront équipées d’étagères de métal, où rang après rang, seront empilées les boîtes contenant les échantillons de graines provenant de centaines de banques de graines autour du globe qui sont plus vulnérables.

« Pas besoin d’astéroïde venant heurter la Terre pour endommager la biodiversité. Les échecs techniques, une mauvaise gestion, des typhons ou des guerres, tout cela contribue à la menace », poursuit Fowler.

« D’ores et déjà, des éléments de la biodiversité du monde se sont éteints, tout comme le Tyrannosaure Rex », toujours selon Fowler, qui cite ainsi la destruction de banques de graines en Iraq et en Afghanistan à cause de la guerre, ainsi qu’une autre banque aux Philippines à cause cette fois-ci d’un typhon.

Protégée par des hauts murs et du béton armé, une porte blindée, une alarme sensorielle et les ours polaires natifs de la région qui errent dans les environs, « la chambre forte du jugement dernier » est bâtie à 130 mètres (425 pieds) au-dessus du niveau actuel de la mer - soit assez haut pour ne pas être submergée si le Groenland et les couches de glace de l’Arctique fondaient entièrement à cause du réchauffement mondial.

Les graines de blé, de maïs et d’avoine, ainsi que d’autres cultures, seront stockées à une température constante de 18 ° C en-dessous de zéro (0,4 ° F en-dessous de zéro). Dans ces conditions, des graines de sorgo peuvent être préservées pendant plus de 19 000 ans.

Et même si le système de réfrigération venait à défaillir, la température resterait à 3,5 ° C en-dessous de zéro (25,7 ° F) grâce au permafrost.

L’archipel norvégien, politiquement stable, loin de toute activité sismique, a été sélectionné pour « sa position éloignée des désastres naturels, des guerres, des conflits civils et des nombreuses folies de tout genre qui sont les fléaux du monde contemporain », explique Fowler.

Svalbard. Photo : Global Crop Diversity Trust

Les échantillons de graines resteront la propriété des pays d’origine. Ils seront expédiés à la chambre forte par petits paquets hermétiques, avec l’aide de la Fondation Bill et Melinda Gates et du gouvernement norvégien pour les pays pauvres.

La fondation et Oslo ont donné presque 40 millions de dollars au Fonds Fiduciaire Mondial pour la Diversité des Cultures, une organisation financée par l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture ainsi que des fonds publics et privés.

« Nous essayons de thésauriser la diversité qui caractérise non seulement les différentes espèces entre elles, mais également celle qui existe au sein d’une même espèce. »    
                  
« S’il n’y a pas assez de diversité génétique, les espèces s’éteindront », ajoute Fowler.

Il y a actuellement quelque 120 000 types de riz dans le monde, dont certaines d’entre elles peuvent pousser sous six mètres d’eau (20 pieds), tandis que d’autres poussent dans des conditions semi-arides.

« Une espèce peut être aussi différente d’une autre qu’un teckel d’un Danois. »

Cette diversité génétique, qui rend possible de choisir les bonnes espèces au bon moment et au bon endroit, pourrait être la clé permettant de faire face à quelques-uns des plus grands défis auxquels doit faire face la planète, tels que le changement climatique, la pénurie d’eau et la conservation d’énergie.

« Personne ne connaît aujourd’hui le bénéfice potentiel de ces graines, leur valeur commerciale pour les cultures, ou si leurs gènes peuvent être utilisées pour des médicaments », selon Erik Solheim, Ministre en charge de l’Aide au Développement International de la Norvège.

« Mais c’est également une question morale que de préserver une partie essentielle de notre héritage culturel pour les générations à venir », ajoute M. Solheim